1894 : l’observation d’une projection lumineuse sur Mars relance la question de la vie sur cette planète

La planète Mars est en feu ! s’enflamme en 1894 le linguiste Edouard Bonnaffé (1825-1903) dans un article paru au sein du Figaro : le 28 juillet de cette année-là, l’astronome Stéphane Javelle (1864-1917), à l’observatoire de Nice, signalait une sorte de projection lumineuse sur le bord inférieur de Mars, le docteur Krueger, chargé du bureau central à Kiel, confirmant la découverte de son confrère et la télégraphiant aussitôt à tous les observatoires du monde entier.

 

Depuis, explique Edouard Bonnaffé, la tache lumineuse semble avoir augmenté d’intensité, et les astronomes, stupéfaits, se demandent quelle est la cause de cette immense lueur mystérieuse. De nouveau, se pose la troublante question : « Est-ce un signal ? »

Déjà, en 1879, poursuit-il, à la suite de la si curieuse découverte du professeur Schiaparelli, de Milan, qui le premier signala sur la surface de la planète la présence de canaux parallèles et réguliers, tout le monde avait crié au miracle. Et comme chacun sait que le climat de Mars est très semblable au nôtre et que les conditions de vie sont à peu près pareilles là-haut et sur la Terre, on se persuada bien vite que la planète était habitée. L’existence des Martiens — on leur donna tout de suite un nom — fut décrétée plutôt par force d’imagination que de raisonnements. De là à prétendre que ces nouveaux frères nous faisaient des signaux, il n’y avait qu’un pas.

Quelques-uns même se dirent : « Pourquoi ne répondrions-nous pas à cet appel si touchant venu de l’infini ? » Après tout, nous possédons de merveilleux télescopes. La carte de Mars nous est connue, les astronomes savent par cœur les variations du Lac Moeris et même tous les secrets de Phobos et de Deimos, les deux minuscules satellites qui gravitent autour de la planète comme la Lune tourne autour de la nôtre. Nous connaissons l’atmosphère et la température de Mars, ses mers, ses continents. Nous savons ses brouillards, ses orages, la direction et la force de ses vents. Bien plus, nous pouvons voir fondre la neige sur le flanc des montagnes. Non seulement la forme des choses mais leur couleur nous est révélée par nos objectifs ; ignore-t-on que la teinte des mers là-haut est si foncée qu’on dirait une tache d’encre et que le sol de la planète a une couleur rouge brique très particulière ?

 

Et, de tous les points du monde, s’éleva une clameur : « Faisons, nous aussi, des signaux. » Un astronome allemand proposa de correspondre avec les Martiens au moyen d’immenses constructions géométriques qui devaient être bâties dans les plaines sibériennes. M. Galton, un Anglais, écrivit au Times une lettre, fort commentée à l’époque, où il offrait de faire établir, dans les deux hémisphères, une série de réflecteurs très puissants destinés à concentrer sur la planète la lumière solaire.

 

Un troisième proposa d’utiliser les phares les plus intenses de nos côtes. Mais l’idée la plus originale fut celle de cet Anglais, M. Haweis, qui demanda aux diverses Compagnies qui assurent l’éclairage de la ville de Londres d’éteindre, de cinq en cinq minutes, tous les becs de gaz de la capitale. Il voulait ainsi créer des intermittences d’obscurité et de lumière, de façon à éveiller l’attention des Martiens, dans le cas où ceux-ci auraient, au moment précis de l’expérience, braqué leurs prétendus télescopes dans la direction de notre planète !

 

Enfin, plus récemment, une dame, en mourant, léguait une somme très considérable à l’Académie des Sciences de Paris. Ce legs, qui n’a du reste pas encore trouvé sa destination, était réservé à l’audacieux et génial astronome qui pourrait mettre ces bons Martiens en communication avec nous.

 

Quoi qu’il en soit, que la planète soit habitée ou non, il est évident qu’il s’y passe, depuis quelques jours, des phénomènes à la fois inexplicables et terrifiants. Tandis que les uns pensent qu’il s’agit de l’éruption d’un gigantesque volcan, les autres affirment que nous assistons à l’incendie d’une forêt de plusieurs centaines de milliers d’hectares.

 

Que croire ? Cette immense et vague lueur soudain allumée aux flancs de la planète qui court éperdument à travers les régions sidérales est-elle l’indice de l’un de ces effroyables cataclysmes dont notre imagination humaine ne peut concevoir ni la cause ni même l’horreur ; annonce-t-elle, au contraire, à l’horizon un signal nouveau, l’aurore de je ne sais quelle espérance ? Mystère.

 

Au surplus, cela ne doit pas être précisément très facile de s’entendre d’une planète à l’autre — surtout si l’une d’elles n’est pas habitée. Et puis, que diable, cinquante-huit millions de kilomètres, ce n’est pas précisément porte à porte...