Le fort de Sarah Bernhardt

Henriette-Marie-Sarah Bernardt dite Sarah Bernhardt (Paris, 22 octobre 1844 - Paris, 26 mars 1923) est une des plus importantes actrices françaises du XIXe siècle et du début du XXe siècle.

 

Appelée par Victor Hugo « la Voix d'or », mais aussi par d'autres « la Divine » ou encore l'« Impératrice du théâtre », elle est considérée par beaucoup comme une des plus grandes tragédiennes françaises du XIXe siècle. Première « star » internationale, elle est la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents, Jean Cocteau inventant pour elle l'expression de « monstre sacré ».

 

 

Née au 5 rue de l'École-de-Médecine. La mère de Sarah, Judith-Julie Bernardta (1821-1876), modiste sans le sou et fille d'un marchand de spectacles néerlandais itinérant, était une courtisane parisienne connue sous le nom de « Youle »1,2. On ignore qui était son père3, Sarah ayant toujours gardé le silence sur son identité. Les noms d'Édouard Bernhardt, juriste français, ou de Paul Morel, officier de marine, sont les plus couramment proposés4.

 

Du fait de la destruction des archives de l'état civil lors de la répression de la Commune de Paris, la date de naissance de Sarah Bernhardt est incertaine et débattue5. Si ses biographes donnent habituellement les dates 22 ou 23 octobre 18446, certains proposent juillet ou septembre 18445, voire 1843 ou même 18415.

 

En outre, pour faciliter les démarches d'obtention de la Légion d'honneur et prouver la nationalité française de l'actrice, un acte de naissance rétrospectif est établi par décision de justice le 23 janvier 1914, sur base d'un certificat de baptême produit par Sarah Bernhardt bien que la falsification de celui-ci n'ait trompé personne, pas même les magistrats7. Celui-ci8 est ainsi daté du 25 septembre 1844 et affecté aux registres du 15e arrondissement7. Elle s'y déclare fille de Judith van Hard et d'Édouard Bernardt, un père qui, selon ses différentes versions, appartenait à une riche famille d'armateurs du Havre, ou y était un étudiant en droit. Certaines sources évoquent un officier de marine havrais, du nom de Morel9. Mais son père reste inconnu.

 

De même le lieu de sa naissance n'est pas plus sûrement établi : une plaque mentionnant sa naissance est apposée au no 5 de la rue de l'École-de-Médecine (anc. 11e), on évoque également la rue Saint-Honoré — au 32 ou au 265 — ou encore le 22 de la rue de La Michodière (2e)5.

 

Ses prénoms — Henriette-Marie-Sarah — sont également parfois présentés dans un ordre différent selon les sources, certaines indiquant « Sarah-Marie-Henriette » ou encore « Henriette-Rosine Bernard », suivant le nom qu'elle avait donné lors de son inscription au Conservatoire, « Rosine (dite Sarah) »b.

 

Une certaine inclination de l'actrice à la fabulation concernant sa vie n'a pas aidé à démêler ces différents écheveaux5.

 

 

Sarah Bernhardt eut au moins trois sœurs et souffrit en particulier longtemps de la préférence de sa mère pour sa jeune sœur Jeanne-Rosine, également comédienne. Délaissée par Youle qui choisit la vie mondaine à Paris, elle passe une petite enfance solitaire chez une nourrice à Quimperlé où elle ne parle que le breton. Le duc de Morny, l'amant de sa tante, pourvoit à son éducation en l'inscrivant dans l’institution de Mlle Fressard puis en 1853 au couvent des Grand-Champs à Versailles[réf. nécessaire]. Elle y devient mystique catholique10. Elle y joue son premier rôle, un ange dans un spectacle religieux11. Elle reçoit le baptême chrétien en 1857 et envisage de devenir religieusec.

 

C'est alors que son nom aurait été francisé en « Bernard »[réf. nécessaire] et qu'elle quitte vers quatorze ans la vie monacale et passe le concours du Conservatoire où elle est reçue. « Tout le monde m'avait donné des conseils. Personne ne m'avait donné un conseil. On n'avait pas songé à me prendre un professeur pour me préparer12 ».

 

Elle prend aussi des leçons d'escrime, dont elle tirera profit dans ses rôles masculins comme Hamlet13.

 

 

Elle entre en 1859 au Conservatoire d'Art dramatique de Paris sur la recommandation du duc de Morny dans la classe de Jean-Baptiste Provost14. Sortie en 1862 avec un second prix de comédie, elle entre à la Comédie-Française mais en est renvoyée en 1866 pour avoir giflé une sociétaire, Mlle Nathalie, celle-ci ayant elle-même violemment bousculé sa sœur qui avait marché sur sa traîne15.

 

À cette époque, la police des mœurs compte Sarah parmi 415 « dames galantes » soupçonnées de prostitution clandestine16.

 

Elle signe un contrat avec l'Odéon17. Elle y est révélée en jouant Le Passant de François Coppée en 1869. En 1870, pendant le siège de Paris, elle transforme le théâtre en hôpital militaire et y soigne le futur maréchal Foch qu'elle retrouvera quarante-cinq ans plus tard sur le front de la Meuse, pendant la Première Guerre mondiale18. Elle triomphe dans le rôle de la Reine de Ruy Blas en 1872, ce qui la fait surnommer la « Voix d'or » par l'auteur de la pièce, Victor Hugo, à l'occasion d'un banquet organisé pour la centième représentation19. Ce succès lui vaut d'être rappelée par la Comédie-Française où elle joue dans Phèdre en 1874 et dans Hernani en 187720.

 

Avec le succès, les surnoms élogieux se multiplieront : « la Divine »21, l'« Impératrice du théâtre »22…

 

 

En 1880, elle démissionne avec éclat du « Français », devant lui payer cent mille francs-or en dommages et intérêts pour rupture abusive de contrat. Elle crée sa propre compagnie avec laquelle elle part jouer et faire fortune à l'étranger jusqu'en 1917. Première « star » internationale, elle est la première comédienne à avoir fait des tournées triomphales sur les cinq continents, Jean Cocteau inventant pour elle l'expression de « monstre sacré »22. Dès 1881, à l'occasion d'une tournée de Bernhardt en Russie, Anton Tchekhov, alors chroniqueur au journal moscovite Le Spectateur23 décrit malicieusement « celle qui a visité les deux pôles, qui de sa traîne a balayé de long en large les cinq continents, qui a traversé les océans, qui plus d'une fois s'est élevée jusqu'aux cieux »24, brocarde l'hystérie des journalistes « qui ne boivent plus, ne mangent plus mais courent » après celle qui est devenue « une idée fixe (sic) »25.

 

Elle interprète à plusieurs reprises des rôles d'homme (Hamlet, Pelléas), inspirant à Edmond Rostand sa pièce L'Aiglon en 1900. Elle se produit à Londres, à Copenhague, aux États-Unis (1880-1881) où elle affrète un train Pullman pour sa troupe et ses 8 tonnes de malles, et en Russie, notamment au théâtre Michel de Saint-Pétersbourg (en 1881, 1892 et 1908). Son lyrisme et sa diction emphatique enthousiasment tous les publics. Afin de promouvoir son spectacle, elle rencontre Thomas Edison à New York et y enregistre sur cylindre une lecture de Phèdre20. Elle devient l'une des très rares artistes français à avoir son étoile sur le Hollywood Walk of Fame à Los Angeles.

 

Proche d'Oscar Wilde, elle lui commande la pièce Salomé, dont elle interprète le rôle-titre, en 1892. À partir de 1893, elle prend la direction du théâtre de la Renaissance où elle remonte quelques-uns de ses plus grands succès (Phèdre, La Dame aux camélias) mais crée aussi de nombreuses pièces comme Gismonda de Victorien Sardou, La Princesse lointaine d'Edmond Rostand, Les Amants de Maurice Donnay, La Ville morte de Gabriele D'Annunzio et Lorenzaccio d'Alfred de Musset (inédit à la scène), puis, en 1899, du théâtre des Nations qu'elle rebaptise « théâtre Sarah-Bernhardt » et où elle crée entre autres L'Aiglon de Rostand et reprend La Tosca de Sardou. Elle apporte son soutien à Émile Zola au moment de l’affaire Dreyfus26, elle soutient Louise Michel et prend position contre la peine de mort.

 

Le 9 décembre 1896, une « journée Sarah Bernhardt » est organisée à la gloire de l'actrice par Catulle Mendès et d'autres sommités de l'art : Edmond Rostand, Antonio de La Gandara qui fit d'elle plusieurs portraits, Jean Dara, José-Maria de Heredia, Carolus-Duran. Le Tout-Paris s'y presse : un repas de cinq-cent convives au Grand Hôtel précède un gala au théâtre de la Renaissance — qu'elle dirige alors — où l'actrice se rend accompagnée de deux cents coupés et où l'on peut entendre entre autres hommages un Hymne à Sarah composé par Gabriel Pierné sur des paroles d'Armand Silvestre et interprété par l'orchestre Colonne27.

 

Ayant compris l'importance de la réclame, elle met en scène chaque minute de sa vie et n'hésite pas à associer son nom à la promotion des produits de consommation. Son style et sa silhouette inspirent la mode, les arts décoratifs mais aussi l’esthétique de l’Art nouveau. Elle fait elle-même appel au peintre Alfons Mucha pour dessiner ses affiches à partir de décembre 1894. Ces six années de collaboration donnent un second souffle à sa carrière. Tuberculeuse comme sa sœur Régina qui en meurt en 1874, elle développe une certaine morbidité en se reposant régulièrement dans un cercueil capitonné qui trône chez elle. Devant le scandale suscité, elle s'y fait photographier par un opérateur du studio Melandri pour en vendre des photos et cartes postales28.

 

En 1905, lors d'une tournée au Canada, le Premier ministre Wilfrid Laurier l'accueille à Québec ; mais l’archevêque Louis-Nazaire Bégin, détestant le théâtre et reprochant à l'actrice un jeu du corps nouveau pouvant être qualifié d'érotique, demande à ses paroissiens de boycotter la représentation et l’actrice, habituée aux foules, se produit devant une salle en partie vide29.

 

Après avoir joué dans plus de 120 spectacles, Sarah Bernhardt devient actrice de cinéma. Son premier film est Le Duel d'Hamlet réalisé en 1900. C'est un des premiers essais de cinéma parlant avec le procédé du Phono-Cinéma-Théâtre, où un phonographe à cylindre synchronisait plus ou moins la voix de l'actrice aux images projetées30. Elle tournera d'autres films — muets — dont deux œuvres autobiographiques, la dernière étant Sarah Bernhardt à Belle-Île en 1912, qui décrit sa vie quotidienne31.

 

 

En 1914, le ministre René Viviani lui remet la croix de chevalier de la Légion d'honneur, pour avoir, en tant que comédienne, « répandu la langue française dans le monde entier » et pour ses services d'infirmière pendant la guerre franco-prussienne de 1870-187132.

 

Sarah Bernhardt est amputée de la jambe droite en 191533, à l'âge de 70 ans, en raison d'une tuberculose osseuse du genou. Les premiers symptômes remontent à 1887, lorsqu’elle se blesse au genou sur le pont d'un bateau qui la ramène d'une tournée aux Amériques33. Cette première luxation, non soignée, s’aggrave en 1887, lors des sauts répétés du parapet dans le final de La Tosca, la comédienne ayant chuté à de nombreuses reprises sur les genoux34, puis en 1890 à la suite d'une nouvelle blessure contractée lors d'une représentation du Procès de Jeanne d'Arc au théâtre de la Porte-Saint-Martin[réf. nécessaire]. En 1902, lors d’une tournée, un professeur de Berlin diagnostique une tuberculose ostéo-articulaire et prescrit une immobilisation de six mois que l’actrice ne peut se résoudre à suivre35. Elle se contente de séances d'infiltrations et, en 1914, d'une cure à Dax, d'ailleurs sans effet36.

 

En septembre 1914, craignant que Sarah Bernhardt ne soit prise en otage, lors d’une éventuelle avancée allemande sur Paris, le ministère de la Guerre conseille à l’actrice de s’éloigner de la capitale. Henri Cain, un de ses proches dont la femme, Julia Guiraudon, est fille d’un ostréiculteur de Biganos, lui recommande de séjourner sur le Bassin d’Arcachon, où lui et son épouse louent une villa à Andernos-les-Bains33. Elle arrête son choix sur la villa « Eurêka », où elle s'installe de septembre 1914 à octobre 1915d.

 

Plâtré durant 6 mois, son genou développe une gangrène37. Son médecin et ancien amant, Samuel Pozzi, que Sarah surnomme « Docteur Dieu »38, ne peut se résoudre à pratiquer lui-même l'opération et sollicite le concours du professeur Jean-Henri Maurice Denucé, désormais chirurgien à Bordeaux39. Amputée au-dessus du genou le 22 février 1915 à la clinique Saint-Augustin de Bordeauxe, Sarah revient en convalescence à Andernos en mars 191540. Elle participe à une manifestation patriotique le 10 août 1915 où elle lit deux poèmes puis quitte définitivement Andernos en octobre 191533.

 

Cela ne l'empêche pas de continuer à jouer assise (elle refuse de porter une jambe en bois ou une prothèse en celluloïd), ni de rendre visite aux poilus au front en chaise à porteurs, lui valant le surnom de « Mère La Chaise »41. Elle ne s'épanche jamais sur son infirmité, sauf pour rire : « Je fais la pintade ! »42. Son refus des faux-semblants n'a pas été jusqu'à lui faire négliger la chirurgie esthétique. En 1912, elle demande au chirurgien américain Charles Miller un lifting, technique alors débutante, dont les résultats seront corrigés par Suzanne Noël43.

 

Alors qu'elle est en train de tourner un film pour Sacha Guitry, La Voyante, elle meurt le 26 mars 192344, au 56 boulevard Pereire (17e arr.), en présence de son fils. Le gouvernement lui organise des obsèques nationales. Elle est enterrée à Paris au cimetière du Père-Lachaise (division 44).