Profession ? Quatorzième à table dans les dîners !

Il était à Paris, au XIXe siècle, une profession curieuse. Un témoin de l’époque rapporte qu’ayant été rendre visite à Nestor Roqueplan (1804-1870), qui fut rédacteur en chef du Figaro vers 1830, directeur de l'Opéra Comique et du Châtelet, s’amusa à regarder quelques cartes de visite jetées dans un grand plat de porcelaine du Japon, lorsqu’il fut frappé par une carte de physionomie fort élégante portant un nom surmonté d'une couronne de comte et une qualification singulière :

« Gustave de Crussol, Quatorzième, Rue du Helder, n°... » Quatorzième ? se demanda-t-il. Quatorzième ?... Si sous ce nom avait été inscrit secrétaire d'ambassade, notre témoin l’aurait compris. Mais quatorzième, s’interrogeait-il, cela signifie-t-il quatorzième du nom ?

– Du tout, expliqua Nestor Roqueplan, Gustave de Crussol est un jeune homme de beaucoup d'esprit, un causeur aimable. Il cause avec passion, avec plaisir, avec succès. Il sait parler toutes les langues, il sait toutes les nouvelles, tous les cancans, tous les scandales ; il sait l'anecdote du jour avant tout le monde, il la fait au besoin. Il est tombé de ses lèvres vaillantes plus de mots spirituels qu'on n'en prête aux hommes d'esprit qui n'en font pas.


– Cela ne m'explique pas le quatorzième, répliqua le visiteur

– Paresseux et désintéressé, Gustave de Crussol a trouvé moyen de vivre de son esprit : il s'est fait quatorzième, c'est-à-dire qu'il est de tous les dîners où sans lui on serait treize à table. Il laisse sa carte chez tous les hommes qui, comme moi, ont horreur du nombre treize, chez tous les gens riches qui donnent à dîner. Il a une mise élégante, des manières exquises ; il est déjà connu, et il ne se passe pas de jour qu'il ne soit de quelque excellent dîner. Il est si amusant, que je connais des gens qui n'invitent que treize personnes pour avoir leur cher quatorzième.