La Médecine à la Belle Époque

La Belle-Époque voit naître un certain nombre d'avancées considérables dans le domaine de la médecine et des soins. L'industrialisation progressive du pays au cours du siècle précédent, ainsi que la création d'un statut propre à l'activité du pharmacien (depuis 1777), permit à la pharmacologie de s'émanciper des traitements à base de plantes uniquement pour se tourner petit à petit vers la fabrication massive de médicaments. En 1900, on utilise au moins autant la chimie que la biologie pure dans le traitement des maladies. De plus, accompagnés de grandes innovations, de profonds changements vont s'opérer dans la perception du corps humain. La médecine se modernise dès la fin du XIXe siècle.
Les grands bouleversements médicaux de ce début de siècle – ou plutôt de cette fin de siècle précédent – débutent à Elberfeld, en Allemagne en 1895. Willem Rötgen découvre les « rayons X », alors qu'il étudie des tubes cathodiques. Les médecins peuvent, à partir du moment où cette innovation trouve une application médicale, ce qui ne se fait attendre, observer les lésions internes chez leurs patients.

La même année, à Lille, région densément peuplée de brasseries, un chimiste étudie la fermentation. Il observe que celle-ci est à chaque fois due à un micro-organisme spécifique. Louis Pasteur vient d'inventer la bactériologie. Il découvre dans la foulée un procédé permettant de lutter contre ces germes : l'asepsie. Les salles d'opération et les instruments de médecine sont désormais hygiéniquement traités avant utilisation.


A peu près au même moment, un biologiste autrichien, Karl Landsteiner, se rend compte que lorsque l'on mélange du sang de différentes personnes, parfois il s'agglutine, parfois non. Il préssent alors l'existence des groupes sanguins. Il sera dès lors possible de réaliser des transfusions sanguines entre personnes compatibles.

En novembre 1901,

un neuropsychiatre allemand évoque des patients perdant progressivement toute notion de temps et d'espace, en même temps que la mémoire. Il s'appelle Aloïs Alzheimer.

 

Une expérimentation nouvelle voit également le jour au cours de cette période : les scientifiques commencent à s'intéresser aux vertus de la « Fée Électricité ». L'électrothérapie voit le jour et trouve des applications dans la conductibilité nerveuse, la recherche sur les maladies musculaires (comme la myopathie de Duchenne, découverte par le médecin éponyme, friand d'expérimentation électriques), le traitement des mélancolies (ancien nom des des dépressions profondes), les maux de tête, et enfin en chirurgie dentaire (comme anesthésique).


Mais l'invention qui couronne le tout arrive en 1903. Pierre et Marie Curie découvrent le radium, qui sera à la base de toutes les radiothérapies pour traiter les cancers au cours du siècle qui s'ouvre. Cette découverte leur vaut le prix Nobel, à égalité avec Henri Becquerel (découvreur de la radioactivité spontanée à l'origine des recherches du couple Curie).

Pour l'homme de la rue :

 

La médecine progresse vite. Chacun s'en aperçoit. Si à la campagne, le rebouteux reste l'interlocuteur privilégié, le seul digne de confiance, des paysans et ouvriers ruraux, à la ville on chante une autre chanson.


Le confort bourgeois passe obligatoirement par une hygiène irréprochable, dont le médecin de famille se fait l'apôtre. Tout est susceptible d'attirer les « mauvaises bactéries ». Le commun des mortels s'informe sans relâche sur ces choses invisibles et pourtant si nuisibles. Beaucoup, tout du moins chez les bourgeois et autres gens précautionneux, tombent dans une véritable phobie du microbe. La saleté est l'ennemie de la maîtresse de maison, car elle sait dorénavant de source sûre que c'est au creux de la crasse que s’attrape les pires vices.

Deux maladies mortelles sont pourtant encore monnaie courante durant toute la décennie. La première est la terrible « peste blanche » ou phtisie, plus communément appelée tuberculose. Cette

 

dernière est la cause d'un décès sur sept en Europe. Si les rayons X permettent un diagnostic plus sûr et plus rapide dès le début du siècle, il n'existe encore aucun traitement antituberculeux, et la mise en quarantaine proposée par Villemin n'est pas adoptée suite à une opposition farouche du corps médical.

 

Notons également que des auteurs antisémites comme Jules Séverin s'emparent du fléau en « dénonçant » à propos de la tuberculose « l'influence de nouveaux maîtres et de juifs allemands » en visant les réclames du fabricant de viandes Liebig, accusé d'engendrer une surconsommation de produits carnés dangereuse. La tuberculose devient dans l'esprit de nombreux français une arme créée par les Juifs. Les travaux de Bertillon mettent de plus en exergue le fait des disparités sociales de la maladie à Paris. Ce sont dans les quartiers pauvres, évidemment, que la maladie est la plus répandue. La tuberculose est donc aussi une arme politique, dont s'emparent également les gauches.


Le tréponème pâle quant à lui, responsable de la « vérole », ou plutôt syphilis, n'est découvert qu'en 1905 par Fritz Schaudinn et Erich Hoffmann à Berlin. Les essais précédemment ratés du sérum curatif d'Albert Neisser en 1898 ne parviennent pas à faire décroître cette infection sexuellement transmissible. Beaucoup de citoyens, en particulier dans les rangs des libertins et autres coureurs, sont donc atteints par cette « maladie honteuse et incurable ». On la traite désormais à l'arsenic en remplacement du mercure, et il faudra attendre 1910 pour que le Salvarsan, délivré en injection, fasse ses preuves comme seul traitement efficace à la syphilis, ce qui n'empêchait pas les rechutes. Véritable sujet de prose chez nombre d'écrivains et poètes, parfois eux-mêmes atteints, la syphilis alimente une obsession paranoïde dans toutes les couches de la société. Selon le préfet de police Lépine, 80.000 malades en meurent chaque année dont 20.000 enfants dès le sein de leur mère.

Le soin est tout de même présent dans tous les esprits bourgeois, même pour les maux les plus bénins. Alimentées par des réclames tapageuses dans les journaux - quand des articles entiers ne le font pas - vantant les mérites des dernières trouvailles pharmaceutiques, les ventes de médicaments en tout genre explosent.

 

Le médecin lui-même ne rechigne jamais à prescrire quelques pastilles et autres suppositoires (très populaires en complément) pour un petit mal de gorge sans la moindre importance.


La circulation sanguine en particulier fait l'objet de toutes les attentions. Elle est le bouc-émissaire de multiples cures thermales dans les stations à la mode en ce début de siècle (Vichy, Bagnoles-de-l'Orne, Evian,...). Beaucoup de ces estivants d'un genre nouveau sont d'ailleurs des « malades imaginaires », qui n'obtiennent d'ordonnance que dans le but de passer un agréable moment de détente dans des hôtels luxueux, véritables valeur ajoutée de ces « villes d'eaux ».

Le système de santé

La Charte de la mutualité, loi de 1898, permet à des mutuelles d’apparaître, proposant des prestations à tous. Bien qu'elles soient coûteuses, certains privilégiés les adoptent. Dans le même temps, un système d'aide social jette les bases d'un régime d'entraide dans la société.

 

La loi du 15 juillet 1893 institue une aide médicale gratuite pour tout français malade et privé de ressources. On reçoit de la part de la commune, de la région ou de l'État une aide à domicile, ou lorsque c'est impossible, à l'hôpital. Depuis la loi du 9 octobre 1898, on indemnise également les victimes d'accidents de travail.
Si consultations, diagnostics et frais hospitaliers bénéficient de ces aides, les médicaments quant à eux sont à la charge entière du patient.

Le médecin

En général premier professionnel de santé rencontré en cas de maladie, le médecin de famille diagnostique et prescrit. Parfois il est contraint d'opérer urgemment. Le cabinet du médecin, s'il est invariablement propre et bien tenu, n'a pas besoin d'être aseptisé comme une salle d'opération.

 

Mais ses instruments sont consciencieusement nettoyés après usage. Par l'observation, l'induction et l'expérimentation, le médecin est capable d'une bonne efficacité.

 

La qualité des innovations pharmaceutiques faisant souvent le reste. Après diagnostic, il remplit une fiche d'ordonnance qui sera remise par le patient au pharmacien de son choix. Là lui sera délivré son remède. Lorsque l'état de son patient le requiert - et n'est pas si urgent qu'il nécessite une opération rapide -, il lui ordonne un soin hospitalier, d'une durée dont il est l'arbitre.

Les outils du médecin

Le masque anesthésiant:


Cet inhalateur permet d'endormir un patient dans un état de douleur extrême en lui faisant renifler une dose de chloroforme ou d'éther. Il se place sur le nez et couvre également la bouche. Le produit est retenu dans une bonbonne de verre reliée par un câble à une pompe à main, ainsi qu'au masque.
Notons que s'il n'est pas équipé de masque, il reste au praticien la voie du flacon distributeur goutte-à-goutte, qu'il versera sur une étoffe de tissus avant de la faire respirer profondément au patient.

La trousse à trachéotomie


La diphtérie (angine trachéale) fait encore des ravages, surtout auprès de la population infantile. Parfois, le médecin de village se voit contraint d'opérer par trachéotomie un enfant atteint. Pour cela il dispose d'une trousse composée de 3 ou 4 canules trachéales, d'une pince dilatatrice, et de deux écarteurs.


L'opération est délicate et requiert un geste strict et sûr. Le malade est opéré à l'aide d'un traitement local à base de nitrate d'argent et d'acide chlorhydrique, et on retire la membrane atteinte à l'aide d'une pince. Cet outil a permis de sauver de nombreuses vies.


A partir de 1904, le système adopté dans le cas de diphtérie est l'intubation, ou tubage du larynx. Une telle trousse est composée de 6 tubes en métal, 6 mandarins pour les tubes, 1 introducteur pour poser les tubes, 1 extracteur pour ôter les tubes et 1 ouvre-bouche.

Le nécessaire à bronchotomie

 

Certaines inflammations de la gorge particulièrement résistantes ne peuvent être guéries que par une lourde opération chirurgicale appelée bronchotomie. On traite également les cancers de la sorte. Cela consiste à pratiquer une ouverture à la trachée pour favoriser le passage de l'air dans les poumons.

 

Elle convient également lorsque des corps étrangers sont engagés dans le pharynx ou l’œsophage et qu'il est impossible de les en déloger.

 

Ce nécessaire est composé de 1 bronchotome, ou lancette à double courbure, avec canule, 1 ¾ applati du Dekkers, avec canule, 1 bronchotome de Bauchat, 1 canule à bronchotome de Bauchat, 1 coiffant pour fixer la trachée-artère, 1 tenette ou érigne double d'Helvetius pour tenir et soulever la mamelle cancéreuse au moment de l'ablation, et 1 petite érigne en forme de tenette pour saisir les petites glandes ou les tubercules graisseux à amputer.

Le pneumothorax artificiel


A partir de 1882, les médecins pouvaient placer les patients en insuffisance pulmonaire sous « pneumothorax artificiel ». Par le biais d'une insufflation d'air ou de gaz inerte entre la plèvre et les poumons, on permettait à ceux-ci d'être temporairement au repos, le temps d'une intervention.

Le remplissage de l'air ou du gaz est actionné par une pompe manuelle, et sort de deux bonbonnes pour pénétrer par un long tube dans les poumons.

Le thermocautère de platine


Le thermocautère est un fil de platine, qui rendu incandescent, sert à cautériser les plaies hygiéniquement, par exemple après une amputation. Bien sûr la souffrance est atroce et il faut au préalable tenter d'endormir le patient à l'aide d'un anesthésiant.


On chauffe la figure de platine sur une flamme de lampe à alcool remplie d'une essence minérale qui doit être limpide comme de l'eau de roche. Cette flamme devra être vigoureuse. On souffle doucement à l'aide de la double poire sans retirer la figure de la flamme. On ne retire la figure que lorsqu'elle est arrivée au rouge-blanc, puis on applique sur la plaie.

Les couteaux à amputation


Le thermocautère nous force évidemment à évoquer la question de l'amputation. Pour cette tâche toujours difficile, dont le médecin use lorsqu'un membre est atteint d'un mal qui risque de se propager, par exemple en cas de gangrène ou plus rarement en ces temps-ci de lèpre, il dispose d'un attirail de couteaux à amputation.


A chaque membre correspond un couteau toujours précautionneusement aiguisé et hygiéniquement traité - et plus ou moins équilibré, tranchant et imposant.


Les longueurs standards des lames sont : 22 cm pour les cuisses, 18 cm pour les jambes, 15 ou 12 cm pour les bras. Elles sont forgées dans un acier ordinaire, ou bien inoxydable.

Le pessaire abortif (illégal)


Bien que la contraception soit interdite, certaines « faiseuses d'ange » sont rejointes par une infime minorité de médecins hors-la-loi, rompant par là-même le serment d'Hippocrate, et qui la pratiquent en toute discrétion. Le pessaire (sorti et distribué sous le manteau par un laboratoire américain) est un instrument en vogue chez cette catégorie d'avorteurs.


Il consiste en un anneau flexible d’aluminium, introduit dans le vagin afin d'atteindre le fœtus pour stopper son évolution. Cette opération, tout en présentant un caractère barbare d'ultime-recours, n'est pas sans risque pour la femme enceinte, qui peut y laisser la vie.

Le stéthoscope, le marteau, le et le thermomètre


Incontournable pour diagnostiquer toute altération interne du corps humain par l'auscultation, le stéthoscope est au médecin ce que la canne à pêche est au pêcheur. Il est obligatoire. C'est un réflexe que d'y avoir recours. A partir de 1870, il permet la comparaison en deux endroits distincts car ils est "différentiel" : deux pavillons sont reliés chacun par un tube à une oreille.


Le marteau, lui, sert à tester les réflexes tendineux, depuis les travaux séméiologiques de Erb et Westphal en 1875. Il permet de diagnostiquer des pathologies centrales ou périphériques si les réflexes ne concordent pas. Ils sont parfois utilisés avant redirection vers les unités psychiatriques.


On sait depuis 1835, grâce aux travaux d'Antoine Becquerel et Gilbert Breschet, que le corps humain sain est à température constante de 37°C. Puis, Karl August Wunderlich observe plus en détail les variations de température à partir de 1851. Le thermomètre à alcool, qui a depuis longtemps remplacé le mercure - pour des raisons de santé public et de coût - devient donc en ce début de XXe siècle un outil précis pour le diagnostic de fièvres, comme la fièvre typhoïde par exemple.

Les bandages et pansements


Pendant le siège de Paris en 1870 furent inventés les pansements. Leur utilisation est variée et leur but est multiple : isoler la plaie du milieu extérieur, permettre une meilleure cicatrisation dans un environnement humide, faire cesser l'hémorragie en comprimant les vaisseaux sanguins atteints,...

Les bandages, plus anciens, ont les mêmes fonctions pour des blessures plus importantes.