La prison pour femme de SAINT LAZARE

Vie quotidienne dans la prison de SAINT LAZARE

C’est aujourd’hui un coquet ensemble immobilier, dont fait partie la récente médiathèque François Sagan, et bordé d’espaces verts. Mais la forme en équerre du carré Saint-Lazare, ce projet architectural situé dans le 10e arrondissement de Paris, en dit long sur son passé.

 

C’est là, à partir de 1794 et après avoir été léproserie puis prison pour hommes, que des centaines de milliers de femmes sont emprisonnées. « Au 19e siècle, elles représentaient environ 15 % des détenus, contre moins de 4 % actuellement, note Sandra Cominotto, guide conférencière au musée Carnavalet. La législation relative à la sexualité était beaucoup plus dure à l’époque, et réprimait l’adultère, les avortées, ou encore la prostitution. »

 

A la prison Saint-Lazare se côtoient donc des femmes aux profils très variés, en attente de jugement ou lourdement condamnées, pour des petits délits ou les crimes les plus sordides. Un « pêle-mêle » très critiqué par la presse de l’époque, comme dans cet article du Rappel, en 1890, qui accuse « une promiscuité où les gâtées pourrissaient les saines. » « Certaines venaient à Saint-Lazare, qui a eu un statut d’hôpital-prison, pour se faire soigner de leurs  maladies vénériennes, complète Sandra Cominotto. Il y avait aussi des jeunes filles placées ici en correction paternelle. » Des quartiers se dessinent au fur et à mesure, et des transferts s’organisent pour tenter de réguler cet endroit « dont le nom seul résume toutes les abjections humaines », lit-on dans la presse.

 

Une « grande communauté de misère »

Que se cache-t-il réellement derrière cette « façade crasseuse trouée de fenêtres noircies bardées de fer », comme le décrivait un article de 1930 ? Si peu d’écrits contemporains sont disponibles sur la prison Saint-Lazare, quelques journalistes s’y sont rendus à l’époque afin de tenter de rendre compte du quotidien des détenues et des religieuses qui les surveillent. En 1800, le Courrier des spectacles décrit les activités de « filature de laine », « couture », « tricot » ou « broderie » réalisées contre salaire. « La plus grande propreté règne dans les ateliers sur les personnes de ces détenues ; leur maintien est décent », écrit-on.

 

Mais plus les années passent, plus la description des lieux et de ses occupantes s’assombrit. « Grande communauté de misère », « cloaque regroupant tous les vices et toutes les infamies de la capitale » font partie des termes utilisés. « Tout ce monde de voleuses, de prostituées et de proxénètes mange, boit joue, cause ensemble, peut-on lire dans Le Gaulois du 10 juin 1870. (…) La nuit même n’arrête pas ses désordres, elle jette sur eux un voile complaisant et les enhardit ensemble. » Sans compter que ce lieu de déchéance  abrite aussi des enfants, de 0 à 4 ans dont certains sont parfois nés sur place. Leurs mères, les nourrices comme on les appelle, bénéficient d’un régime spécial mais sont réputées comme « les plus difficiles » selon le directeur de l’époque, cité dans un article du Journal en 1912.

Détenues anonymes et célèbres

Dans la presse, on s’interroge aussi sur la réinsertion de ces femmes. Le bilan semble sévère malgré l’émergence de plusieurs initiatives, comme l’Oeuvre des libérées de Saint-Lazare. Un article du Rappel, en 1890, est d’ailleurs intégralement consacré à cette association de charité, dont le but est de « préserver la femme en danger de se perdre et de fournir aux libérées les moyens de se réinsérer ».

 

Mais si l’on ne sait pas ce qu’il est advenu de toutes ces anonymes sorties de Saint-Lazare, le parcours de plusieurs prisonnières célèbres est plus largement rapporté. Et notamment la militante féministe Louise Michel, dont un article de la Gazette de France révèle notamment qu’« elle écrivait presque tout le jour », et qu’« elle a composé pendant sa détention plusieurs ouvrages ». Poursuivie pour le meurtre de son mari, Marguerite Steinheil, connue pour avoir été la maîtresse de Felix Faure, y séjourne également. La danseuse Mata Hari, accusée d’espionnage et condamnée à mort, vit elle aussi plusieurs mois à Saint-Lazare. Le Dr Léon Bizard livre d’ailleurs un témoignage glaçant de son exécution dans les colonnes de Paris Soir, le 19 septembre 1934.

 

La fin de la prison Saint-Lazare

Cet article renseigne d’une autre particularité de la prison pour femmes : on apprend que la cellule de Mata Hari « modeste chambre aux murs badigeonnés de chaux », était appelée pistole. « Ces cellules abritaient ce qu’on pouvait appeler les VIP de Saint-Lazare, indique Sandra Cominotto. Des détenues qui payaient pour avoir un peu de confort supplémentaire, parfois des traitements de faveur. »

 

Finalement, après des transferts vers Pantin et la prison de la Petite Roquette, Saint-Lazare ferme ses portes en 1935 et des démolitions sont engagées. « Elle continuera à accueillir des femmes jusqu’en 1955 avant de devenir une maison de santé, indique Sandra Cominotto. Après sa fermeture en 1998, la ville de Paris commencera sa requalification. » Seule l’ancienne chapelle est aujourd’hui toujours sur pied.